2012年12月14日金曜日

「負の政治の時代」、『北海道新聞』コラム「各自核論」2012年12月14日(金曜日)朝刊7頁

「負の政治」の時代


 「歴史は繰り返す、一度目は悲劇、二度目は茶番として」と喝破したのはマルクスだが、総選挙投票日を目前に、N回目の茶番の繰り返しを苦々しく眺めて嘆息しているのは、私だけだろうか。
 じっさい、この世紀に入って、私たちは、余りにも多くの繰り返しに立ち会ってきた。小泉劇場政治の熱狂と幻滅、政権交代の昂揚と失墜、安倍・福田・麻生・鳩山・管・野田とめまぐるしく繰り返される首相交代劇、タレント知事や最近のおびただしい新党結成、そのたびに繰り返される世論調査で繰り返される「期待できる」「期待できない」といういつも同じ問いかけ、ジェットコースターのように弧を描き続ける支持・不支持のグラフ曲線・・・。選挙の度にスウィングしつづける無党派層、離合集散を繰り返し、選挙ごとに党派を乗り換える議員のチルドレン(=幼児)化現象、空転する国会・・・。誰が見ても、これでは、誰もがうんざりした気持ちになってしまうことは当たり前といえる。
 このように短期的にめまぐるしく波動する政治の閉塞状況のもとにある原因はいったい何なのか?その基本構図をとらえようとすることからしか、政治をまともに思考することは始まりそうにない。
 これは私たちの国だけの問題ではない。世界は前世紀の終わりから「負の政治」の時代に突入している。大げさにいえば、どの国においても、政治は力を失っている。グローバル化は、一国単位での政治を事実上不可能にする。情報も経済もヒトも国境を越えて動くが、政治だけはまだそれぞれの国単位だ。
 国の政治は世界のグローバル化の動きに適応しようとするが、そのためには、いままでの権力の源泉を手放さなければならない。今世紀の初頭、福祉国家を解体したり、規制を撤廃したり、国内産業の保護を外したりと、新自由主義的な政策がいっせいに進められた。そのせいで、世界はむしろ貧困化し、他方で金融資本主義のゲームが繰り広げられリーマンショックのような恐慌を経験することになった。
 私たちの国は、残念ながら、このグローバル化する世界における当面の「ルーザー(敗者)」である。相変わらず一国主義的な公共事業による産業復興策を重ねた末に国の債務は膨れあがり、急激に老齢化する人口構成は世界的な競争に打ち克つことを困難にしている。新興国の浮上のなかで、外交的にも地位を低下させて、人びとの逼塞感はつのるばかりである。
 永らく私たちの国の政治は、「正(プラス)」の資源の分配者だった。しかし、いまや政治は分配すべき資源を失って、「負の分配」の身ぶりに転じてきた。
 じっさい、福祉国家の縮減にしても、公共セクターの解体や官僚たたきの現象にしても、すべては、政治による負の分配をめぐるアジェンダである。政治家たちの勇ましい発言やナショナリズムもまたこうした負の政治の一環であるだろう。
 しかし、「負の分配」の身ぶりだけで、政治はその役割を回復できない。人間社会にとって、もっと根本的な何か、もっとちがった世界のあり方への希求が、私たちの政治の拠り所であるべきだろう。しかし、オバマ政権の行方が示すように、オールタナティヴな世界像は残念ながらまだ説得的な方向を示し得ていない。
 であるとすれば、〈三・一一〉の、あの苦闘と苦悩の日々を思い起こそう。あのときに私たちの眼前に開かれていた、長い歴史の奥行きが突然その断面を露呈させたような光景をもういちど脳裏に描き直してみたらどうだろうか。そして、もう少し長い尺度で政治をとらえ返してみたらどうだろうか。
 マルクスの箴言のもとになった、英国の哲学者にして保守主義の父エドマンド・バークの言葉は、「歴史を学ばぬ者に歴史は繰り返す。」である。めまぐるしく繰り返す短期的な政治ゲームから抜け出す視座は、まずは歴史を、よく思い出すところから始まるのである。
                                        


2012年9月7日金曜日

「真理への勇気:民主主義の根本倫理」、『北海道新聞』コラム「各自核論」2012年9月7日(金曜日)朝刊7頁

「真理への勇気


 古代ギリシャのアテネでは、「パレーシア(真理を言うこと)」は、ポリスの市民の根本的な倫理だった。ギリシャ語の「パレーシア」は、「全てを話すこと」、「自由に話すこと」、「遠慮なく本当のことを述べること」を意味している。
 嘘をついてはいけない、隠蔽してはいけない、というような道徳的な意味で使われていたのではない。民主政を構成する市民としての根本的な「エートス(心構え)」を指す言葉だった。たとえ、自分に不利益が及んでも、そして、ときには、命が危うくなろうとも、広場など公開の場では全ての真理を言うのだという「真理への勇気」こそが、ポリスの成員である「市民」に求められる特権的な義務だったのである。「特権的」というのは、ギリシャのポリス民主政は奴隷制によって支えられていたからである。自由であるべき市民は、真理を包み隠さず公の場で語ることを根本的な徳としなければならなかった。それを怠ることは、市民としての地位に悖(もと)る恥である。
 ひるがえって、私たちの国の現在の民主政はどうだろうか。「真理を言うこと」をめぐって、私たちの社会は、いったいどんな状況を生きているだろうか。
 福島原発事故については、幾つもの事故調査委が立ち上げられ、公開及び非公開でヒアリングが行われ、相互に矛盾も見られる複数の報告書が出された。公の場での、責任者たちの言明は、黒澤明監督の映画「羅生門」 の原作、芥川龍之介の「藪の中」を思わせるものだった。
 東京電力の隠蔽体質は言うに及ばず、原子力委員会の「秘密会議」などの報道を見ていると、「全ての真理を言う」という徳など、この国の意思決定の責任者には望むべくもないのかもしれない。この国の政治が立ち行かなくなった深い理由には、おそらくそのような根本的な政治の徳の欠如がある。
 しかし、たとえ自分に不利益が及んでも、ときには命を賭してでも、「真理への勇気」を持つ人びとは、私たちの国にも確実に存在している。「原子力村」から疎外されて昇進の道を断たれ、それでも研究を続けて、原発事故への警告を発し続けた原子科学者たちがいる。チェルノブイリ事故のドキュメンタリ番組を担当し、永らく現場を外されていたが、福島原発事故をきっかけに制作現場に復帰して、優れた番組を生み出したテレビ・ディレクターもいる。あるいは、脱原発デモに多数集まるようになった、無名の市民の一人一人も、たとえ自分に不利益が及んでもいま真理を言おうと声をあげている勇気の人びとであるかもしれない。
 どの時代にあっても、「真理への勇気」は、民主的な政治が成り立つための根本倫理なのである。
 先月二十日、シリアで取材中に銃弾に倒れたジャーナリストの山本美香さんは、「紛争の現場で何が起きているかを伝えることで、世界が少しでもよくなればいい。報道することで社会を変えることができる、私はそう信じています」と学生たちに語っていたという(「朝日新聞」8月22日)。世界で起こっている出来事から目をそらさず、命を賭してでも真実を伝えようとする心構え。そのようにして、混迷する世界に少しでも公共の政治を拓こうとすること。それもまた、現代的な「真理への勇気」のひとつの実践だったといえるだろう。
 古代ギリシャでは、刑死したソクラテスが「パレーシアの人(真理を言う人)」と呼ばれたように、民主主義の政治においては、多数派を前に「全ての真理」を臆面も無く「自由に言う」ことにはリスクが伴う。しかし、まさに、そのようなときにも口をつぐむことなく「全ての真理をいう勇気」が、アテネ民主政の倫理的礎石となったと、フランスの哲学者ミシェル・フーコーは述べていた。   
 多数決こそすべてというポピュリズムが台頭しかねない、私たちの国のデモクラシーには、いったい今何が求められているだろうか。それを私たちの「ポリス」の成員たちとともに考えていきたい。


2012年8月15日水曜日

Catastrophe et Média : la culture des média dans le Japon contemporain in Confiance Croyance Crédit dans les mondes industriels, sous la direction de Bernard Stiegler, Collective du Nouveau Monde industriel, FYP éditions(France), août 2012. 252p., pp.127-150.


Catastrophe et Média : 
la culture des média dans le Japon contemporain
Par Hidetaka Ishida

I Catastrophe et média

   La culture des média au Japon est inséparable de la question de  la catastrophe . La culture de l’après-guerre en particulier, c’est-à-dire du Japon depuis 1945, est fondamentalement indissociable de l’expérience de catastrophe.
   Le 11 mars 2011 à 14h46, heure japonaise, le Grand séisme de l’Est du Japon survint justement pour nous rappeler ce fond culturel. Loin d’être un sujet de circonstance, interroger le lien substantiel que la culture des média entretient avec le catastrophique s’avère essentiel pour sa compréhension. C’est dans cet esprit que j’ai choisi ce thème « Catastrophe et média », pour parler de la diffusion mondiale de la culture des média japonaise contemporaine.

 Un doute sur le « Cool Japan »…
   Depuis un certain temps, un peu partout dans le monde, on parle du « Cool Japan ».  Ce phénomène est,  commercialement, industrialo– culturellement si j’ose dire, surdéterminé.
   En quoi consiste ce côté cool  de la « Japanese Media Culture »? Est–ce d’ailleurs vrai ? Et si « cool » il y a, ce « cool » dans quel sens l’entendre ? Au-delà d’un narcissisme culturel et d’un symptôme de promotion politique d’industries culturelles, « creative industry » comme on dit, seule l’analyse nous importera.
   Esthétiquement parlant, le Cool Japan, du moins certains de ses aspects,  frôle la dimension de catastrophe : catastrophe de l’humain et de son sensible. Ici la catastrophe serait à prendre plutôt au sens mathématique, de la théorie topologique des catastrophes de René Thom . Tout d’un coup s’opère une soudaine transformation et advient un événement imprévisible, morphogénétique, tel un pli,  tourbillon, ou encore nœud papillon. Un exercice minimaliste est exigé qui fait survenir un chaos imprévisible.
   Chez un Kitano Takeshi, par exemple, à l’extrême de la violence, apparaît sèchement une petite musique de vie – sa  « sonatine » – une certaine dimension du tragique est captée en pleine catastrophe.
  Dans l’Otaku Art d’un Murakami Takashi aussi, au bout d’une mono–maniatisation extrême (otakisation), apparaît une soudaine transformation  si ce n’est une catastrophe du sensible : une nouvelle forme inédite et absurde du sensible se fait jour, telle cette transformation subite d’un visage de Mickey, déconstruction de l’univers de Disney par opération d’un chaos.

 L’esthétique de 「際」 Kiwa 
   Dans la série de colloques et séminaires en France dont que je me suis chargé d’organiser à l’automne 2011 , j’ai attiré l’attention sur le concept japonais de « kiwa » qui désigne à la fois  limite , bord, bout , frontière, extrême, transition, spatialement et temporellement. Le kiwa est proche de catastrophe ; l’esthétique du kiwa prend forme ou se transforme au bord du catastrophique. Le kiwa prend contours net et claire ; il s’excelle au bord de la catastrophe, à sa remarquable limite.
   S’il y a donc des singularités dans la culture des média au Japon, c’est peut-être qu’elle est sous–tendue par la problématique des catastrophes : catastrophes humaines, psychiques, historiques, naturelles, nucléaires, financières, à tel point qu’on sera amené à se demander si une nouvelle dynamique non linéaire de la culture ne devrait pas être envisagée. C’est un peu le but de la discussion d’aujourd’hui.

Vers une géo-histoire de la civilisation
 Le Japon se tient aux bords de plaques tectoniques ; du point de vue de la complexité atmosphérique, le pays se situe en des points catastrophiques. Sujette aux secousses chroniques, la civilisation y est foncièrement discontinue. La géologie y prime, pourrait–on dire, sur l’histoire qui, elle, reste toujours fragmentaire et non-linéaire. Au sein de l’archipel du Japon, la civilisation s’est constituée au cœur de Kiwa géologiques et climatologiques.
   En évitant les écueils de la simplification et de l’exagération, on devrait  peut–être se demander ce qui vient faire sortir l’Histoire de ses gonds.
Longtemps nous avons été habitués à une histoire linéaire. Mais de plus en plus, non seulement les secousses sismiques, les changements climatiques, et les désastres écologiques, mais aussi l’augmentation de la complexité économique et informationnelle ou l’amplification de comportements psychiques imprévisibles d’individus, etc. tout cela ensemble met aujourd’hui radicalement en crise les postulats de linéarité.
   La Terre n’est plus un soubassement sûr de nos civilisations, ni  d’ailleurs l’Air, ni le Feu, ni l’Eau. Il me semble qu’une nouvelle géohistoire est à écrire. Et les média, dans ce contexte, seraient un « médiateur »  de cette nouvelle géohistoire. Une autre théorie des média qui serait une sorte de géohistoire stratifiée des média est appelée, me semble–t–il, à se formuler.


II Exemples

Entrons dans notre propos.

 1「炉心融解」 Le Meltdown (2008)

  D’abord, écoutons cette chanson  de la catastrophe. Nous partons d’une couche la plus récente de la culture des média.
  Cette chanson qui a été composée et lancée sur le Web en 2008 (donc bien avant le 11 mars 2011 et la catastrophe nucléaire des centrales nucléaires à Fukushima). Ce chant qui avait déjà enregistré plus de trois millions de PV (pages vues) n’est pas une chanson humaine, car c’est une composition ddu programme vocaloïde (Kagamine Rin, YAMAHA). Une Cassandre vocaloïde avait donc chanté le « Meltdown » posthumain, pourrait-on dire, bien avant le 11 mars.
   La caractéristique des chants de vocaloïdes consiste en ceci qu’ils exploitent une zone de tessiture à fréquence très élevée difficilement atteignable par la voix humaine : c’est donc un chant ultime, le dernier chant.  Cette hauteur tend notamment à ne plus être entendue par les personnes âgées. Les jeunes exploitent donc ces voix hautes pour leur création collective : la composition par vocaloïde se fait collectivement sur le Web, il y a des centaines de milliers de compositeurs et commentateurs sur le Web actuellement, dessinateurs et producteurs anonymes, etc.
   La voix de la chanson se déterritorialise donc du registre humain pour atteindre la zone d’un lyrisme tragique dont la parole est tout de même étrangement belle : une femme infanticide « en rêve » aspire à plonger dans le « cœur d’un réacteur nucléaire » pour « voir, en s’anéantissant, le monde sans moi enfin remis à son engrenage de coeur normal ». La voix posthumaine est en train de révéler son ultime lyrisme ; au Japon, il y a dans la musique pop, de plus en plus de chants par vocaloïde : les chanteurs humains sont amenés à « imiter » tant bien que mal les voix de vocaloïde.
   Voici donc le premier exemple d’« un nouveau médium – catastrophe et transformation de l’expérience du sensible » : un nouveau medium – une vocaloïde, déterritorialise la voix et introduit à une nouvelle esthétique inhumaine et suicidaire : cela correspond bien sûr à un certain symptôme social de la jeunesse : insomnie, suicide, infanticide, troubles psychiques et addiction, bref, les «maux » de civilisation.

2 「いい国つくろう、何度でも」 « Reconstruisons le bon pays, même à plusieurs reprises… »  (2011.9.2)
   Un deuxième exemple pour préparer notre interrogation sur la catastrophe. Cette fois–ci la catastrophe de l’histoire et les états de sa mémoire. Ceci pour illustrer la place de la culture des média dans le Japon de l’après-guerre.
   Le 2 septembre dernier, dans les 5 grands quotidiens nationaux, nous avons vu apparaître cette publicité sur deux pages .
   La photo montre le général MacArthur descendant de son avion à la base militaire d’Atsugi près de Tokyo, le 30 août 1945. Cette photo bien connue de la défaite et de la capitulation du Japon impérial, a donc réapparu dans une publicité de la maison d’éditions Takarajima Sha, qui est, faudrait-il préciser, spécialisée dans les magazines de mode et de culture pop. Le groupe Takarajima sha a l’habitude de faire une ou deux fois par an une compagne publicitaire à caractère social du type Benetton. Ils ont choisi ce thème cette année. Le 2 septembre dernier coïncidait avec la date de la nomination du troisième premier ministre du gouvernement Minshutô (le Parti démocrate).
   Dans la légende se lisait ceci : « Iikuni Tsukuro, nando demo (Reconstruisons le bon pays, même à plusieurs reprises) ». Elle joue abondamment sur l’ambiguïté. Hormis l’ironie voulue ou involontaire sur la relève d’un gouvernement qui, effectivement, se succède à « plusieurs reprise », la phrase « Iikuni Tshukuro 1192 » demeure ancrée dans la mémoire des écoliers des Japonais ; on l’associe à l’an 1192, date de  fondation du shogunat de Kamakura. Ainsi est introduite la thématique de la répétition de l’histoire.

   La défaite de 1945 répèterait les refondations successives de l’Etat japonais à travers l’histoire. Le site Web de la maison d’éditions, commente dans ce sens :
   « Le Japon n’a cessé de faire face à la défaite, aux désastres, aux difficultés dans son histoire.
   Chaque fois, les Japonais ont consolidé l’histoire de leur pays par la force de leur esprit invincible et de leur solidarité sociale.
   Peut-être qu’il n’y a pas d’autres exemples d’un peuple si tenace et si imprégné de force vitale.
   C’est notre sentiment.
   Reconstruisons le pays, même à plusieurs reprises.
   Par ce slogan nous aurions voulu en appeler à la force d’esprit propre aux Japonais. »
   Cette publicité a fait sensation et couler beaucoup d’encre. Et ce commentaire relativement tardif ne parvient pas totalement à lever l’ambiguïté. On se demande si ce n’est pas sous la pression des nombreuses interprétations et réactions hostiles suscitées que la maison d’éditions a été amenée à livrer cette explication.
   Le jeu est assez subtil, car au lieu d’évoquer directement les motifs à caractère « patriotique » voire « nationaliste », l’image est celle du Général MacArthur. L’omission du sujet dans la phrase du slogan ne permet pas de trancher si c’est le Général qui dit « Je vais reconstruire.. » ou les Japonais, ayant capitulé, qui se disent devant cette image d’humiliation « Nous, devant cette défaite, nous allons... ». Le qualificatif de « bon (ii) » est également ambigu : le « ii kuni » est-ce un pays démocratique, donc introduit par les Américains, ou simplement le « Ii kuni », comme le « Shogunat de Kamakura ». Le succès de la campagne publicitaire tient à l’humour qui se manifeste dans ces possibilités d’interprétations multiples.
  Mais de façon plus profonde, cette campagne publicitaire a touché à l’ambiguïté fondamentale de la mémoire collective du Japon de l’après-guerre . Cette histoire récente du Japon de l’après-deuxième guerre mondiale a fait l’objet de la monumentale étude d’un historiographe américain, Dohn W. Dower : Embracing Defeat .
   On pourrait dire que la culture des média du Japon contemporain, dans sa phase historique récente, a son origine dans cette défaite et dans mémoire de celle-ci. Nous allons voir comment son acceptation a déterminé le sort de la culture des média, en prenant des exemples tirés de films d’animations et des industries culturelles.

3. Our Friend the Atom (1957)
   Dans l’après-guerre, les industries culturelles arrivent des Etats-Unis : les films de Hollywood, la télévision mais aussi les films d’animation Disney.
   Les industries culturelles ne sont bien sûr pas innocentes, tant s’en faut : elles font partie du vaste complexe militaro-industrielle à l’époque de la Guerre froide.
   En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que tout s’est passé comme si faire oublier Hiroshima et Nagasaki constituait un enjeu majeur de la politique des  industries culturelles américaines au Japon. Du moins objectivement parlant, la ruse de l’histoire des industries culturelles opéra avec une efficace redoutable. En 1954, un essai de la bombe H dans les l’atoll de Bikini contamine un thonier japonais dont un marinier meurt d’irradiation sept mois plus tard (l’affaire Daigo Fukuryu Maru). Cette affaire attise chez les Japonais la mémoire des atomisations d’Hiroshima et Nagasaki. Au Japon, cette affaire donne naissance au premier film d’épouvante de la série Godzilla (1954), dont le monstre a été conçu à la suite de ce scandale de radiations atomiques.
   Par ailleurs, après la guerre de Corée, le Japon est intégrée dans la politique nucléaire des Etats-Unis. C’est sous le slogan d’ « utilisation pacifique de l’énergie nucléaire » qu’est menée cette politique d’intégration. En 1955, le premier sous-marin nucléaire d’attaque Nautilus est lancé.
   Pour effacer de la mémoire collective le passé récent, les films d’animation de Disney font partie de la propagande américaine : en pleine période de guerre froide, l’administration Eisenhauer voulait injecter le rêve de  l’« utilisation pacifique » des forces nucléaires.
    Voici le film d’animation ventant l’utilisation de l’énergie nucléaire du « Tomorrow Land » : « Our Friend Atom » (1957) .
   Ce film de propagande scientifique commandé à Disney par l’USA Information Agency sera diffusé le 1er janvier 1958 par la chaîne de télévision nationale Nihon TV possédée par le groupe Yomiuri, dont le présient Shyoriki fut le principal artisan de l’introduction des centrales nucléaires au Japon.
   C’est dans le prolongement de cette politique de l’« utilisation pacifique de l’énergie nucléaire » que seront construites au Japon les centrales nucléaires dans les années 1960 et 1970, dont celle du Fukushima (construction achevée en 1966).

4. Tetsuwan Atom (1963)
   Tout se passe comme s’il y avait une complicité objective liant entre eux la politique de l’utilisation « pacifique » de l’énergie nucléaire, sa promotion  par les films américains d’abord, puis l’essor de la culture des médias par les nouveaux moyens d’information et de communication.
   La première et très populaire série d’animation à la TV produite par Osamu Tezuka (1928-1989) s’appelle  « Tetsuwan Atom (Atom le petit robot, connue en France sous le titre « Astro, le petit robot ») » (1963 - 1966 ) ; elle situe son univers futuriste au 21ème siècle. Le petit robot, héros de la série, baptisé « fils des sciences », est propulsé par l’énergie nucléaire : « Cent mille CV propulse le petit robot ». Elle est diffusée par la chaîne Fuji TV. Le petit Atom va incarner le mythe de la nation «techno-scientifique » des années 1960.
   Il faut aussi noter que l’univers initial et le sous-texte de ce manga « Atom Taishi » dans les années 1950 était  beaucoup plus complexe et intéressant à bien d’ égards : il se situait dans un univers après postérieur à une catastrophe ayant affecté une autre planète Terre dont l’explosion a déterminé l’exode de ses habitants qui débarquent sur la planète Terre dema série. S’ensuit la discorde et puis la paix à laquelle œuvre le petit robot. Nous reviendrons sur cette situation de post-catastrophe qui marque fortement l’univers de l’animé japonais.
   Mais ce sera la version plus “naïve” qui se diffusera durant les années 1960 par la TV.
   Malgré le credo pacifique de l’auteur et sa réticence quant à l’exploitation de l’énergie nucléaire, tout se passe comme si cette série d’animation, « Atom le petit robot », incarnait la réplique et la continuation du « Our Friend Atom » de Disney.
   On pourrait résumer la situation en termes simples.
   Dans un premier temps, la culture des images américaine envahit à travers les films d’animation et l’écran de TV l’imaginaire des enfants japonais ; dans un second temps, se développeront les productions japonaises en s’appropriant l’imaginaire des industries culturelles et en adoptant les thématiques promues et dictées par l’époque, telle l’exploitation « pacifique » de l’énergie nucléaire. Cette structure est parfaitement homologique à la structuration de l’espace politique du Japon de l’après- guerre. Le pacifisme est dicté par la présence américaine sous l’ombre des forces de dissuasion nucléaire. On retrouve dans le processus de formation de la culture de l’animation la logique de l’« Embracing Defeat ».
   On pourrait aussi ajouter, ce sera dit en passant, à la liste des robots héros de série d’animé, la série « Doraemon le robot-chat » qui, lui aussi, est propulsé par un moteur nucléaire.

5.  Tezuka is dead !
   Myazaki Hayao (né en 1941 ), l’auteur du Mononoké sur lequel nous reviendrons , écrit à propos de Tezuka, à l’occasion du décès de ce dernier :
   Pour ce qui est de l’animé, tout ce que Tezuka a dit et écrit est fondamentalement faux.
   La raison de cette erreur, tient à ceci que son point de départ était Disney. Il n’y avait pas d’autre modèle pour lui. Ses premières œuvres sont toutes d’imitation. Il a tenté d’introduire son histoire originale. Néanmoins son univers était resté fondamentalement sous l’influence de Disney. Il n’a pas réussi à surmonter son complexe d’infériorité vis à vis de son grand père (Disney). (…)
   Quand  j’ai appris sa mort, j’ai compris que l’ère Showa était définitivement révolu.

6. Post-apocalypse now  : fiction post-apocalyptique 
   Si, dans l’univers destiné aux enfants, l’animé cultive les décors futuristes et somme toute assez optimistes, dans les genres plus adultes, l’univers imaginaire des sous-cultures dans le Japon de l’après-guerre évolue à l’ombre des deux catastrophes majeures : la mémoire récente des défaite et ruines de la dernière Guerre et, la guerre froide aidant, l’imminence de l’avenir apocalyptique.
  On sait que non seulement au Japon mais dans le monde entier, le récit post-apocalyptique fait partie du contrat générique de la fiction scientifique.
  D’innombrables exemples d’univers fictionnels procèdent de cette temporalité dont l’horizon est obturé par le passé antérieur plus ou moins récent et l’avenir imminent des catastrophes. Les menaces nucléaires en sont les motifs récurrents. C’est que l’univers fictionnel est toujours déjà quelque part un supplément de l’histoire réelle.
   Il est bien connu que, comme je viens de le signaler,  ce film de monstre Godzilla naquit de l’essai nucléaire de bombe H à Bikini en 1954 et la contamination de l’équipage du thonier Daigofukuryu maru en 1954.
   Ce n’est pas par hasard que les navires spatiaux, tel le cuirassier spatial Yamato, portent le nom du cuirassier réel de l’ancienne marine impériale (UchûSenkanYamato /Le cuirassé spatial Yamato par Leiji Matsumoto, 1974).
   Akira (Ootomo Katsuhiro, 1988) se situe, en 2019, dans une « Neo-Tokyo » sur les ruines toutes proches du Groud Zéro de l’ « ancienne Tokyo » détruite par une explosion nucléaire en 1982, au cours de la Troisième Guerre Mondiale.
   Tous ces imaginaires se constituent donc comme suppléments de l’histoire réelle. Tout se passe comme si dans l’univers fictionnel le présent de l’histoire évolue comme pris dans l’étau de ces deux temporalités : le passé antérieur et le futur antérieur, tous deux également catastrophiques. C’est la loi même du genre post-apocalyptique. Et ceci est particulièrement marquant dans l’univers de l’animation japonaise.

7. Myazaki : Animé et Anima
   C’est sans conteste l’œuvre de Myazaki Hayao qui révèle de façon la plus ample la portée mythologique de cet univers fictionnel post-apocalyptique comme supplément pour l’histoire du Japon.
   Sa deuxième œuvre majeure Kazénotani no Nausica (Nausicaä de la vallée du vent 1984) inscrit son univers selon la modalité typiquement post-apocalyptique dont la temporalité prise dans l’étau du passé antérieur de la destruction et du futur antérieur d’une catastrophe imminente. Voici quelques éléments du synopsis : « En ayant épuisé les ressources souterraines et pollué la vie, la civilisation industrielle millénaire avait été détruites par la guerre des « sept jours de feu ». Le savoir et la vie furent presque anéantis. Mille ans de cette ère crépusculaire ont passé et l’humanité survit tant bien que mal. Entre un vaste désert et la « Mer de la Décomposition » (fukai, gigantesque forêt produisant des spores toxiques qui propagent et répandent ainsi cet écosystème), quelques îlots de vie accueillent différentes communautés humaines. La fukai est protégée par des insectes géants, qui se sont adaptés à cet environnement pollué. »
   L’œuvre situe le petit pays de la Vallée, à l’est du continent désert, la métaphore géopolitique de la guerre mondiale y est transparente, patente. La civilisation y survit sur les ruines. Avec la forêt de végétations et d’insectes, l’œuvre intègre dans sa structure de récit post-apocalyptique une dimension écologique et animiste caractéristique de Miyazaki. L’apocalyptique – qui serait fondamentalement monothéiste – se trouve infléchi par l’animistique ; dans cet univers, il n’y aurait nul élément de « révélation », mais l’animé cherche à rejoindre ici le devenir animiste des âmes des vivants. Un genre de « récit de catastrophe écologique » - qu’on pourrait appeler « animé animiste » - se met ainsi en place.

8. L’ animé animiste comme réécriture des maux de civilisation
   C’est avec Mononoke Hime (1997) que Miyazaki parvient à superposer complètement l’écriture de sa fiction animée à celle de l’histoire du Japon médiéval. L’imagination animatrice rejoint l’univers animiste du passé ; le genre imaginaire du futur antérieur rejoint le passé antérieur de l’histoire.
   Or a-t-on remarqué que la scène initiale se passe précisément à Tohoku ? Le jeune chef Ashitaka de la tribu des Emisi (autochtones de l’Est du Japon habitant hors de la zone de domination du Yamato) est frappé de malédiction en tuant l’animal maudit venant de l’Ouest. La situation historique du Tohoku, zone qui a été colonisée, est ici retranscrite. La question du mal de la civilisation fait ainsi d’abord intrusion dans la zone du Tohoku, pays dominé relevant d’une autre culture remontant à l’âge néolithique Jômon.
   Le héros maudit et banni voyage vers l’ouest du Japon en pleine guerre civile et rejoint la cité des forgeries (Tataraba) dont la population « nomade », composées de femmes évadées, de lépreux, etc., considérée hors classes (la minorité exclue), s’affronte à l’univers des animaux de la forêt. Ce village est « utilisé » et « exploité » par les forces guerrières sous tutelle impériale.
   Miyazaki fait de l’écriture fictionnelle de son animé une expression critique de l’histoire du Japon en intégrant des éléments anthropologique, religieux, ethnographiques, mythiques, politiques, etc. du Japon médiéval. Le recours à l’historiographie d’Amino Yoshihio motive cette visée. L’écriture de la fiction post-apocalyptique au futur antérieur rejoint ainsi la lecture des strates archaïques des mémoires collectives.
  Il est très significatif que ce scénario de catastrophe écologique se soit littéralement réalisé en suivant la même structure de domination politique dans les événements ayant suivi le Grand Séisme du Tohoku, à travers la catastrophe nucléaire du Fukushima. Les habitants du Tohoku, descendants modernes en quelque sorte des Emisi, subissent le même sort de  « malédiction » dans la catastrophe écologique, dont la cause est à chercher dans la civilisation urbaine dominante de la nation japonaise moderne.  L’histoire imaginaire du futur répète ainsi, d’avance, l’histoire du passé antérieur.

  Jusqu’à présente, j’ai retracé sommairement la situation de l’imaginaire véhiculé par la culture des industries culturelles. Le rêve n’est jamais innocent.
   Une nouvelle écriture – celle du film d’animation en l’occurrence – réécrit une histoire réelle du passé et l’annonce en quelque sorte. A travers la stratification des mémoires collectives, réapparaît alors une « couche archaïque de la conscience historique » (au sens de Maruyama Masao, grande figure de la pensée de la modernité) consistant, pour le cas japonais, en « devenirs perpétuels et propensions des choses », ce que nous avons désigné provisoirement par le terme d’animisme .

9. Tohoku et Fukushima à la télévision
   Tournons-nous maintenant vers le medium du monde réel.
   Si l’animé est une écriture de la catastrophe au futur antérieur, et l’histoire celle du passé antérieur, c’est à l’évidence la télévision qui est un medium du présent, de la télé-présence.
   Durant ces journées du 3・11, on pourrait dire qu’à la fois on a tout et n’a rien vu à la télévision (je serais tenté de répéter la phrase initiale du film de Duras-Resnais Hiroshima mon amour : « Tu n’as rien vu à la télévision, rien » ; « si j’ai tout vu »).
   Dans mon laboratoire, nous avons stocké toutes les images des 7 chaînes nationales de élévisions à Tokyo durant la semaine qui a suivi le 11 mars dernier. Nous poursuivons actuellement l’analyse de ces images.
   Qu’a-t-on vu ?
   C’est d’abord un ébranlement et un effondrement général du système de diffusion (broadcasting) télévisuel. Tous les programmes interrompus et les flots d’informations envahissent l’écran pêle-mêle : ce tsunami d’informations détruit et va emporter le cadre de la deixis télévisuelle.
   La télévision comme deixis sociale (instance du je/tu - ici -maintenant du présent national) se trouve ébranlée et ses courroies de transmission se brisent. Elle tente difficilement de rétablir ses réseaux en reliant les stations locales et en cherchant à se connecter avec les studios et correspondants locaux.

   Tout s’est passé comme si, en l’espace d’une semaine, tout un monde transitait d’une époque à l’autre (Hiroshima mon amour dit de la catastrophe de la bombe atomique :  « Une ville entière sera soulevée de terre et retombera en cendres », p.33).
   Le 11 mars, le sol ébranlé et la nuit.Les images de tsunami en direct, celles des incendies, etc. Le premier jour, c’est la nuit du monde.
   Le 12 mars, le premier survol du territoire découvre le territoire en ruines. Le même jour, s’en suivront l’explosion d’une centrale nucléaire, les images du sol arrivent.
   Le 13 mars, commencent le rétablissement des networks et des relais de transmissions, les accidents des centrales nucléaires aggravés, etc.
 
  C’est comme une sorte de récit à l’envers de la Genèse, sorte de contre-Genèse. En l’espace de sept jours, tout un monde fait l’expérience de sa destruction et la regarde en temps réel ; le monde n’aura plus été le même du tout à la sortie de cette crise.
   L’enjeu de notre analyse consiste à saisir la dimension proprement catastrophique des événements à travers cette masse énorme d’images. Ce travail n’est pas facile d’autant moins que la télévision est foncièrement un medium du quotidien dont la fonction est précisément d’assurer la continuité quotidienne.
   Notre hypothèse du travail consiste à modéliser la télévision comme une instance du Moi/Nous social : le Moi en l’occurrence est à prendre au sens de Freud ou de Lacan, fonction de méconnaissance. Si de par sa fonction de deixis sociale la télévision était une instance de personne de la société, telle une monade sociale, c’est-à-dire, si l’ensemble d’une société était comparable à une personne individuelle dont l’organe de perception – l’œil -  est assuré par sa télé-vision, ce Moi/Nous collectif croit tout voir et se considère toujours « omniconscient ».
   Or le monde a été sorti de ses gonds le 11 mars et ses événements échappent au contrôle de cet organe de deixis sociale. Le monde a été fissuré et se voit privé de tout sol de confiance ainsi que de la vision qui l’avait assuré auparavant. Comme si la monade télévisuelle était tout d’un coup étourdie, elle perd conscience et quand elle se réveille, elle se retrouve dans un univers tout autre. L’ontologie rassurante de la télévision comme medium du Verfallenheit au quotidien a été brisée.
   Du haut d’un hélicoptère qui survole, le rapporteur énonce : «Hito ga imasu / Je vois des êtres humains », un énoncé « in-ouï » depuis longtemps à la télévision, comme si on avait découvert des êtres vivants sur une autre planète. Entretemps, une dimension cachée s’est ouverte dans ce nouvel univers, une menace nucléaire invisible et inquiétante perce et hante l’expérience de ce nouveau monde.
   Faire expérience d’une catastrophe, c’est peut-être cela. On ne se sent plus situé plus sur le même sol du monde. Tout d’un coup, on est déjà passé de l’autre côté d’un pli du monde. L’événement serait ce pli du temps.
   Personne en effet n’aurait imaginé que dans le monde d’aujourd’hui nous eussions en une journée quelque 20 milles morts et disparus tout d’un coup ; personne n’aurait cru que les villes fussent si vulnérables et les habitants de la terre si démunis et désemparés devant les menaces nucléaires. Les images des maisons blanches et voitures également blanches emportées par les tsunamis ont scellé la fin d’une époque.
   Le sol de confiance a été emporté par les tsunamis d’information, le Moi/Nous télévisuel profondément ébranlé. Est-ce une pure coïncidence que ce désastre ait eu lieu en cet an 2011, année de la Fin de la télévision analogique ? Tout se passe comme si cet événement scellait la Fin de la TV et par là, bel et bien la Fin de l’Ere de l’Après-Guerre.
 
10 . Ihai et Ketai
  Quand le Moi télévisuel s’est fissuré et la confiance a été ébranlée, on a vu remonter à la surface deux réseaux de communication avec deux couches de temporalité.
  Pendant que le Moi/Nous national télévisuel ne répond plus à la détresse, les réseaux sociaux locaux et individuels se nouent. On a noté le rôle des réseaux sociaux Twitter, Ustream, qui remplacent les média classiques. Les doutes sur les informations officielles concernant le nucléaire se développèrent à travers ces réseaux et leur crédibilité s’est considérablement accrue. Le keitai (téléphone portable) était devenu l’un des outils les plus indispensables pour survivre. C’est aussi l’ultime appareil de vie, les keitai étaient les derniers signes de vie et de mort pour avoir des nouvelles des proches.
  Par contraste, les survivants avant de s’enfuir ont cherché les ihai des ancêtres pour les évacuer de leurs maisons. Ihai est une petite tablette religieuse portant les noms religieux des ancêtres servant au culte des ancêtres dans le bouddhisme au Japon.

  Donc les keitai pour être connecté au temps réel, avec les réseaux locaux et individuels des vivants, et les ihai, avec le réseaux des âmes des ancêtres plongeant dans la nuit des temps.
  Telles sont les deux couches de communication et de mémoire qui sont intervenues en ce temps de détresse. Ceci témoigne de la socialité des réseaux et des liens sociaux que nouent en profondeur une population et des communautés dans une situation d’urgence.

11. Noms de lieux et tradition orale
  On a découvert bien après coup que l’emplacement des jinja (sanctuaires shinto) et les toponymes témoignaient du souvenir millénaire des tsunamis et des inondations.
  Les sanctuaires shinto se placent souvent sur les lignes de démarcation qui ont séparé les eaux et la terre lors des inondations. Ainsi l’étymologie de leurs noms, tel le Namiwake (étymologiquement « sanctuaire séparant  eaux et terre ») ou le Tsunomitu (étymologiquement « vagues envahissant ») portent et véhiculent les mémoires orales des tsunamis passés.
 Ce sont ces mémoires inscrites à même le sol comme noms de lieux qui resurgissent avec la catastrophe. La Terre, secondée par la tradition orale, s’avère être ainsi le premier medium d’inscription.


III Média et Mémoire

   Après ce parcours topique rapide, que peut-on avancer en guise de conclusion provisoire de cette modeste introduction ?
   D’abord, tout le monde s’accorderait à dire que le « 11 mars 2011 » fut une propice au retour massif des mémoires.
   J’ai essayé de creuser en profondeur, tel un essai de bowling historique, les strates de mémoires que les traces de catastrophes permettent d’entrevoir. Comme à la mnière d’une fouille archéologique : un escarpement causé des catastrophes permet d’observer les états de la mémoire collective. C’est donc une archéologie des média que ce type de recherche dénote ; mais en même temps c’est aussi une étude sur les mémoires collectives qui sous-tendent la culture des média. Car que ce soit au temps futur des SF, au présent des nouveaux média ou aux passé traditions millénaires, les couches stratifiées de mémoires orientent les inscriptions et dictent les comportements des habitants.
   Les catastrophes nous livrent des enseignements à propos de ces strates de mémoires. Ceci est tout particulièrement vrai, lorsqu’il n’y a pas d’efficace monothéiste qui intègre les événements dans l’Histoire sous la forme d’un Livre, comme c’est la cas au Japon. L’histoire ici est fondamentalement discontinue et non linéaire, les mémoires essentiellement fragmentaires et stratifiées. C’est cette dynamique proprement catastrophique qu’on nomme l’impermanence du monde.
   Bien entendu, ceci n’est qu’une petite introduction à l’étude des « catastrophe et média ». Il faut aussi tenir compte de la manière dont ces mémoires reviennent. Les exemples que j’ai énumérés pourraient paraître arbitraires et disparates à certains égards. A vrai dire, la seule cohérence qui en motive la sélection consiste en ceci qu’ils sont tous recueillis à travers le phénomène de retour des mémoires postérieur au 11 mars. Le premier, l’exemple du vocaloïde a enregistré un nouveau record de PV ; le deuxième est expressément l’exemple même de ce retour de mémoire ; dans le contexte du Post-Fukushima, on s’est souvenu du titre « Our Friend the Atom », de là par conséquent de ce qu’était le « Tetsuwan Atom ». On s’est beaucoup tourné vers le Studio Ghibli pour interroger les conséquences de catastrophes écologiques, et ainsi de suite. Est-ce un phénomène de « flash-back » pour une culture qui vient de faire une expérience de catastrophe majeure ? Et par là, mon propos d’aujourd’hui fait-il également aussi partie du syndrome du « Post 3.11 » ? En tout état de cause, c’est la sélection par la mémoire collective qui a motivé le choix de ces exemples.
   La résurgence catastrophique des mémoires ne se ferait sans doute que de cette manière-là, par cette sorte de flash-back culturel. Alors ce serait donc aussi sur cette temporalité catastrophique qu’on aurait dû s’interroger en cet instant critique. Qui peut affirmer que le trauma n’est pas essentiel pour la mémoire ? N’est-il pas probable que pour parler de catastrophe, il vaut mieux être en plein cœur de celle-ci ? Se jeter dedans, comme le chantait la Cassandre vocaloïde.

2012年6月30日土曜日

『加藤周一における「時間と空間」』、ジュリー・ブロック編、かもがわ出版、2012年6月30日刊、第一章「啓蒙とは何か:普遍的知識人のエートスについて」(石田英敬)

1/ 加藤周一の偉業をどのようにとらえられますか。
 加藤周一は、福澤諭吉以来の近代日本における「啓蒙」の系譜を引き継ぐ現代日本の代表的な知識人であったと思います。この「啓蒙」の系譜は、第二次大戦後の日本においては丸山真男に代表される知識人、出版における岩波書店、ジャーナリズムにおける朝日新聞にみられるように、現代日本の社会と文化において、「民主主義」や「議会主義」、「社会的公正」や「平和主義」、「人間の諸権利」を擁護する知的正統の文化を担ってきました。自民党の支配によるいわゆる「五十五年体制」下では政治的には長らく批判勢力として位置づけられてきましたが「戦後民主主義」を擁護する知的正統の系譜です。
 加藤周一はこうした価値の体現者であって、西洋、中国、日本のあらゆる学識を網羅したその「百科全書」的と呼んでよい博学にもとづいて、「普遍的な視座」から、日本文化の位置を定めようと企てた大知識人でした。彼が、現代日本の最大の百科事典である平凡社「世界大百科事典」の編集責任者を務めたことが、加藤の現代の「百科全書」派としての位置を如実に現しています。

2/ 現代日本思想にどのような影響を与えたと思われますか。
 私は、加藤周一は、現代日本思想において、近代日本の社会と文化を考える際の「準拠点」の役割を果たしてきたと思います。星座でいえば「北極星」のような位置です。誰かが「近代的な知的正統」の位置を占めるという役割を果たさねばならない。それを加藤は果たしてきた。おそらく、丸山真男とならんで、近代日本における思想的課題について、最も「普遍的な観点」から問いを立てるということを、思想のエートスとして定着させようとした思想家です。
 加藤は、必ずしも、学問的専門家ではなく、また先鋭的な理論家でもなかった。加藤はむしろフランス的(ヴォルテール的)な意味で「フィロゾフ」であったということもできると思います。あらゆる事柄について見識を持ち、普遍的な視点から自分自身の意見を持ち、意見を表明する、そうした「知識人」を実践した人物でした。
 加藤の本領は、彼の学説や理論にはなく、むしろ、彼の「普遍主義者としてのエートス」にこそあるといえます。物を考える人間は、できうる限り「普遍的な立場」に立つべきである、その思想的態度の一貫性こそが、かれを偉大な思想家にしたといえるのです。その点において、加藤は現代日本思想に基盤的な影響を与え続けてきたし、これからも与え続けて行くだろうと思います。加藤には、弟子もエピゴーネンもいません。「普遍的である」という態度を受け継ぐ人間は、「弟子」や「エピゴーネン」であることはできないはずです。
 加藤のようなエートスをもった人物は、現代日本においては大江健三郎など幾つかの例外をのぞいて希有な存在です。

3/ 近いうちにフランスで出版される彼の著書『日本文化における時間と空間』は彼の仕事のなかで大きな部分を占めた 「時間」と「空間」の概念について論じています。加藤周一がこれらの概念に強い関心を寄せてきた理由はなんでしょうか。彼にとって、日本を世界との関係の中でとらえなおすためのひとつの手段だったのでしょうか。

 「文化」を「時間」と「空間」という概念を基礎として考えるという態度は、極めて、近代的な立場を示しています。周知のように、「時間」と「空間」は、カントにおける「経験のアプリオリな内的形式」です。「日本文化」の「経験」をつくり出している「アプリオリな形式」を捉え論じようという狙いが(カントを強く意識していたかは分かりませんが)そこには見て取れます。つまり、近代的な普遍的合理主義を出発点にして、「日本文化」を捉えようという「普遍主義者」としての加藤の基本的知的態度(エートス)がそこには読み取れるのです。
 ただし、私は、この著作をとおして、「日本文化」における「時間」と「空間」が、完全に究明されたとは考えていません。むしろ、この本は、加藤の比類なき博識の力を行使して、いわば問題の見取り図をマクロに素描して見せたという側面が強いと思います。非常に力づよく描き出された問題の見取り図をもとに、個々の問題については、より緻密に実証的に研究が行われ、理論が組み立てられるべく、いわば、遺言のように残された問題地図を、日本文化を研究し論ずる研究者・知識人は託されたと考えるべきだと私は考えています。


4/ 加藤周一はいわゆる社会に対するアンガージュマンの知識人として知られていますが、今日の日本での知識人の役割とはどのようなものでしょうか。

 1980年にサルトルが亡くなったとき、当時まだ学生であった私は、加藤周一が行った「知識人の擁護と顕揚」という講演に参列したことを覚えています。フランスでもそうでしょうが、日本でも古典的な知識人の発言力は、現在の社会では後退していると考えられています。確かに、作家や学者、大学人などの、活字文化の知識人は影響力を低下させてきている。メディア化した文化人、タレントやロックスターなど、メディア・アクターのオーディエンスには、古典的知識人の力は遙かに及ばない、と一般的には考えられています。
 しかし、1990年代以降の冷戦終結後、価値軸を失った現代世界において、少し長い展望の元に、世界の危機、世界の行方、将来待ち受けている問題、失われるべきでない記憶など、世界にとって「根本の問題」を提起して、思考すべき課題を指し示す役割を果たしてきたのは、やはり、加藤のような本質的な知識人であったと、私は考えています。じじつ、湾岸戦争以後の幾つもの戦争にしても、テロリズムの問題にしても、金融資本主義のあり方にしても、そうした根本的な問題について、社会に対して根本的な問題提起をおこない、中長期的な展望のもとに懐の深い議論を展開してきたのは、フランスにおけるブルデューやデリダのような知識人たち、日本においては加藤周一や大江健三郎や筑紫哲也といった知識人たちであったのです。
 そして、じじつ、日本では、今までのところは、「憲法改正」も阻まれ、「市場原理主義」は批判されるようになり、「自民党政権」が終わるということも起こってきました。だから、「知識人」の役割にもまだ希望があると加藤周一は考えていたと思います。

5/ 加藤周一が主張してきた平和主義は今日にも通用するのでしょうか。彼が貫いた平和主義は、現代の若い世代にはどのように受け入れられているのでしょうか。

 2006年12月8日(日米戦争開戦の記念日)に東京大学の駒場キャンパスで、学生たちの企画で「加藤周一講演会 老人と学生の未来―戦争か平和か」が開催され非常に多くの人々が集まりました。「老人には時間があり、若い学生にも時間がある」。双方の自由な時間ゆえの「考える自由」を行使して世代を超えた「歴史的対話」を行い、連帯を作れば、戦争への道を止め、憲法改正も阻止できる希望がある、というのが加藤の述べた考えでした。
 私の理解では、加藤の「平和」に対する態度は、「平和主義」という抽象的で一般的な理念というよりは、具体的な「懐疑の態度」という側面が強かったと思います。具体的な歴史的経験からどこまで何がいえるのか。「戦争」は誰が何のために始め、誰が犠牲になるのか。そうした具体的な問いから始めて、精神の自由を行使することによる、非戦の思想が、加藤の平和に対する態度であったはずです。
 若い学生たちとの対話でも、「考える自由」の行使を軸に、「戦争」を懐疑しようという態度は、祈りや信仰としての「平和主義」とは基本的に異なる態度であっただろうと思います。「信仰」や「主義」は若い世代への押しつけにつながります、「自由」の行使への呼びかけは、共に思考し、共に自由になることへの誘いです。その意味で、とても若い世代との交流が晩年にいたるまで加藤周一の情熱をつくっていたのであろうと思います。

(パリOVNI誌 2009年12月号 石田英敬インタビューより)

2012年4月25日水曜日

「『夢判断』フロイト」、東京大学出版会『UP』編集部編『ブックガイド 東大教師が新入生にすすめる本』、2012年4月25日刊、276頁、p.51



S. フロイト『夢判断』 高橋義孝 訳 新潮文庫 上・下 (原著Sigmund FREUD, Die Traumdeutung : 新訳は、『夢解釈』新宮一成 訳、岩波書店刊『フロイト全集』第4巻・第5巻所収 )

 人間若い頃には夢に関心があるものである。 それは、自分の将来の夢というときの願望のことであったり、空想や想像といったことであったり、より具体的な表現としてイメージ化された作品であったりもする。あるいは、端的に、日常睡眠中に自分が見る夢にも若者は大いに興味を持つものである。そして、人生の始まりにある者にとって、これはとても大切なことであるはずだ。
 夢の解釈に関しては、古代以来幾多の書物が存在する。本書は、フロイトが一九〇〇年という日付を選んで世に送り出した精神分析の誕生の書である。同じ一九〇〇年には現象学の祖フッサールが『論理学研究』の第一巻を刊行し、ソシュールがジュネーヴで音声学や詩法を講義し、プルーストがベルクソンのコレージュ・ド・フランス開講講義に列席していた。世界が新しい世紀を迎えようとするとき、夢を手がかりに、人間心理や人間文化の成り立ちを読み解く新しい知の枠組みをフロイトは提示したのである。
 二十世紀以後の世界は、それ以前の時代とはまったく異なっている。産業と技術が、夢を加工し生産しするようになった。夢は、家族や共同体を離れて、電話やレコードや映画、ラジオやテレビを通じて流通し、大衆の無意識を作り出すようになった。ハリウッドの映画やディズニーのアニメ、あるいは、私たちの日常を取り巻く広告や、スターやタレントたちの存在を考えてみるといい。そうしたすべては二十世紀以後の世界における夢の存在を表している。
 あるいは、夢の心理の奥底には、言いようのない不安や暗い衝動が潜んでいて、やがてそれが世界戦争や全体主義を生み出していった。
 『夢判断』は、そうした全ての現代人の夢の原理を解き明かそうとした企てであって、ぼくたちの日常の眠りに訪れる夢を、この世界の存立をめぐる問いへと一直線に結びつけてくれている本なのだ。
                                 

2012年2月11日土曜日

« La force de l’impermanence et un espoir de l’esprit », in L’Archipel des séismes, sous la direction de Corinne Quentin et Cécile Sakai, éd. Picquier Poche, février 2012, 410 p. pp. 61-70



 La force de l’impermanence
 et un espoir de l’esprit

 par Ishida Hidetaka (Université de Tokyo)

   Aucune nation autre que le Japon n’était censée être mieux préparée à un aussi grand séisme ; aucune population autre que celle du Tôhoku n’était censée être aussi conditionnée aux risques d’un tsunami si gigantesque. Cependant le 11 mars 2011 a bien eu lieu. Et il a surpassé toute imagination et démenti toutes les prévisions.
   Au dixième étage d’un bâtiment de l’université de Tokyo à Hongô où je présidais une séance coutumière, une première secousse se fit sentir, sans que cela sorte de l’ordinaire. D’abord une onde « P » -- puis, après un intervalle, une deuxième secousse plus importante « S » -- : n’importe quel habitant de Tokyo sait lire cela et si la longueur de cet intervalle est suffisante, on peut en déduire qu’il ne s’agit pas d’un séisme trop méchant. Or, chose inhabituelle, ce jour-là l’onde allait en s’amplifiant : tout l’étage se mit à vaciller comme dans un mouvement de pendule et nous ne pouvions plus rester ni debout ni assis. Chacun s’abrita alors sous une table pour éviter des chutes éventuelles d’objets : malgré notre confiance dans les constructions parasismiques, si le tremblement de terre avait continué encore quelques dizaines de secondes nous aurions sans doute cédé à la panique. La longue secousse enfin passée, le programme « alerte aux séismes » de nos portables se mit immédiatement à sonner et sur nos écrans s’afficha en rouge une carte du Japon annonçant l’arrivée imminente d’un tsunami de plus de 6 mètres d’abord, puis de plus de 10 mètres sur toutes les côtes du Tôhoku.

Un triple désastre
Les régions côtières du Tôhoku ont été totalement dévastées. Le fond du Pacifique s’est fracturé sur une vaste étendue de 500 kilomètres de long et 200 kilomètres de large.
   Plus de six préfectures ont été directement touchées ; le bilan des pertes humaines a atteint le chiffre de 20.000 morts et disparus dont environ 90% auraient été emportés par le tsunami. Plus de 300.000 habitants attendaient les secours dans quelque 2.300 centres d’évacuation ou abris précaires dispersés le long de 500 kilomètres
   Il est vrai que le Tôhoku a déjà connu des tsunami : notamment le tsunami de Sanriku en 1896 qui a fait plus de 20.000 morts et celui de 1933 plus de 3.000 victimes et après lequel un gigantesque mur de protection de 10 m de haut et de 2.400 m de long a été construit : il a été détruit le 11 mars dernier.
  A ce gigantesque séisme, sont venus, comme on le sait, s’ajouter les pannes et accidents des réacteurs de la centrales nucléaires de Fukushima.
   Séisme, tsunami et accident nucléaire. Ce triple désastre sans précédent ne pouvait que déclencher une profonde secousse dans la conscience des Japonais en réactivant différentes couches de la mémoire collective.

  La semaine qui a suivi cette terrible journée, j’ai assumé la direction de la cellule de crise de ma faculté.
   La rédaction d’un journal français m’a demandé, par courrier électronique, un article que je me suis empressé d’écrire malgré mes multiples occupations du moment : il me semblait que c’était mon devoir d’intellectuel. Mon article a été envoyé au journal dans la semaine suivant le 11 mars, mais n’a été publié que beaucoup plus tard, à la fin du mois, réécrit dans une forme que je n’ai pas vraiment reconnue. (Le Monde diplomatique éd. site web avril 2011). Je vais essayer de restituer ici le fil de mes réflexions notamment dans sa dimension ontologique et tragique, en mettant à jour les données dont je dispose.

Grande confusion
  Six mois ont passé depuis ce jour-là. Le pays ne semble toujours pas sorti de son état de grandes confusion.
  On a découvert beaucoup d’irrégularités qui étaient dissimulées dans la gestion des centrales nucléaires, et qui sont des causes directes ou indirectes des accidents du Fukushima. On n’a cessé de découvrir les défauts du système de sécurité : méconnaissance du risque de tsunami, manque de transparence quant à l’évaluation des risques, défaut des institutions de contrôle et de surveillance, atermoiements lors des décisions pour gérer la crise, etc.
   On retrouve hélas telles quelles les incompétences d’avant le 11 mars, ce qui a pour conséquence une généralisation du discrédit, de la perte de confiance, de la méfiance ou de la résignation désespérée de la population envers les hommes politiques, les média ou le monde scientifique.
  Cependant, cette condamnation morale, quelle que juste qu’elle soit, restera de courte vue et ne touchera pas au fond du problème, tant qu’on continuera tout simplement à se tromper de mondes : on sera toujours dans la même erreur tant qu’on continuera à croire que l’on est toujours dans le « monde d’avant ».

Les mondes incompossibles *
   C’est parce que cette catastrophe a eu lieu que les fautes, les incompétences, les erreurs ont été découvertes, autrement dit sans cette catastrophe tout serait resté dans l’ombre. Devant cette évidence, toute critique est impuissante.
   Indéniablement la catastrophe est une expérience irréversible dans le temps : le monde a tout simplement changé de faces : nous ne sommes plus à la même époque depuis le 11 mars.
   Le monde d’Adam pécheur n’est pas le même que celui d’Adam avant son péché, de même le monde où a eu lieu le 11 mars n’est pas le même que celui où l’on ne connaissait pas le 11 mars. Tant que cette question des mondes incompossibles ne sera pas bien pensée, beaucoup de décideurs, de journalistes et d’intellectuels persisteront dans leur erreur. Pourtant,  cette évidence est connue des victimes et ressentie par tout le monde.
   La catastrophe serait un événement morphogénétique du temps : étant à la même place, subitement on n’est plus dans le même monde. Nous sommes encore peu habitués à cette incompossibilité des mondes.

La monade étourdie
   Dans mon laboratoire d’analyse de la télévision, nous avons stocké et analysé toutes les émissions des sept chaînes de télévision visibles à Tokyo durant la semaine qui a suivi le 11 mars.
   Qu’a-t-on vu et entendu durant ces sept jours ? Et que n’a-t-on ni vu ni entendu ?
   Ce fut d’abord un ébralement et un effondrement général du système de diffusion télévisuelle. Toutes les émissions ont été interrompues et des flots d’informations ont envahi l’écran. La télévision a perdu tous ses programmes durant une semaine.
   Le petit écran est comme une personne sociale collective. Etant un deixis social (dispositif social du « nous - ici et maintenant »), elle est comme une grande monade sociale. Or cette monade qui devrait refléter tout l’univers a été ébranlée de fond en comble et ses courroies de transmission ont été brisées.
   Le 11 mars, le sol ébranlé après la secousse, la télévision tenta difficilement de rétablir ses réseaux de diffusion en reliant les stations locales et en cherchant à se connecter avec les studios locaux et les personnes sur place. Certes, les images du tsunami en direct sont arrivées comme un flots d’informations mais par des moyens de fortune .
   Le premier jour, la monade télévisuelle est frappée de cécité ; elle est dans la nuit du monde.
   Le deuxième jour, les images prises depuis les hélicoptères font découvrir un territoire en ruines. Dans l’après-midi, se produit un événement nouveau : l’explosion d’une centrale nucléaire. Puis les reporters atterrissent, les images du sol se mettent à arriver.
   Le troisième jour, commencent le réseau et les relais de transmissions se rétablissent, l’ accident nucléaire s’avère extrêmement grave et le monde est mis sous la menace d’un grand inconnu qui commence à hanter l’écran.
   C’est comme si en l’espace de sept jours on assistait à une sorte de récit à l’envers de la Genèse, une sorte de contre-Genèse.
   La Monade télévisuelle croit tout voir et se considère toujours comme parfaitement consciente de ce qui se passe dans l’instance sociale de sa téléprésence.
   Or le monde a changé de visage le 11 mars et les événements ont échappé à l’œil de cet organe social. C’est comme si la monade télévisuelle était tout d’un coup étourdie, elle a perdu conscience et quand elle se réveille, elle se retrouve dans un monde tout autre.

Resurgissement des mémoires
   Le temps est sorti de ses gonds. Et ce grand tremblement du sol a libéré les mémoires de la terre.
   On a constaté qu’une catastrophe a pour effet d’en rappeler d’autres ayant eu lieu par le passé : dans la catastrophe on voit remonter les  mémoires archaïques d’univers passés.
   L’événement a été perçu comme une épreuve majeure subie par la nation japonaise, la troisième sans doute de l’âge moderne, les deux précédentes étant la Restauration du Meiji de 1868 et la Défaite de 1945.
   Les grands séismes du passé ont été eux aussi rappelés à la mémoire : celui de Kobé en 1995, celui du Kantô en 1923 ainsi que les tsunamis successifs du Tôhoku sus-mentionnés.
  Mais au-delà de ces mémoires historiques de l’âge moderne, de façon beaucoup plus diffuse mais bien plus fondamentale, est également remonté un fonds culturel immémorial.
  Les sismologues ont avancé l’hypothèse d’un « super-cycle de 700 ans » pour expliquer ce séisme géant de magnitude 9 ; le grand séisme du Jôgan en 869 a été exhumé d’archives millénaires et analysé comme un antécédent de la récente catastrophe.
   A côté des ces arguments scientifiques, on a découvert que les emplacements des sanctuaires shintô, les jinja, ainsi que l’étymologie de leurs noms tels que le Namiwake, étymologiquement «séparant eaux et terre» ou le Tsunomitsu, «vagues envahissantes», portaient et véhiculaient la mémoire orale des tsunamis.
  Dans le grand séisme, l’histoire est mise au niveau de la géo-graphie (= l’écriture de la terre) : ainsi remontent « les couches archaïques de la conscience historique » consistant, pour le cas japonais, en «devenirs perpétuels et propension des choses», (l’expression est de Maruyama Masao** : Rekishi Ishiki no « Kosô », in Chûsei to Hangyaku, Chikuma Shobô, 1992) que nous pourrions mettre provisoirement sous le terme d’animisme.
   Il est frappant de voir avec quelle ardeur les sinistrés eux-mêmes ont recherché des restes de leurs mémoires dans les ruines de leurs maisons: notamment les « ihai » (ces tablettes bouddhiques placées sur l'autel des ancêtres et qui rappellent le nom posthume donné au mort lors de la cérémonie funèbre) qui demeurent les liens les plus essentiels avec les âmes des ancêtres dans la tradition bouddhique.
  Depuis le tsunami, le travail de restitution des objets de mémoire est d’ailleurs toujours en cours ; un formidable besoin d’archiver les souvenirs est ressenti. Les recherches dans les décombres et le travail de restitution aux familles sont menés avec de l’aide de bénévoles.

La force de l’impermanence
  Ainsi, après la catastrophe, les couches de la mémoire collective se réveillent et se mobilisent en profondeur.
   Dans l’archipel, l’impermanence du monde n’a jamais véritablement scandalisé les habitants, elle a constitué au contraire la condition fondamentale des hommes : le monde est impermanent, il faut donc vivre la vie de ce monde (ici et maintenant) avec le maximum de détermination éthique envers soi et envers autrui. Telle serait une leçon de morale humaine à la japonaise, qui ne passe pas par la transcendance et reste foncièrement d’une portée locale.
   Ce constat d’impermanence ne signifie pas une résignation ; au contraire, il constitue le fond éthique d’un être au monde. Ce monde est inconstant et passant avec les âmes qui peuplent l’univers. Un grand cataclysme est une occasion de dévoiler ce substrat éthique dans la population, et l’on voit qu’il s’enracine dans la géo-histoire du pays.
 
  Tokyo le 1er novembre 2011 

* chez Leibniz-Deleuze : je me réfère ici à la pensée sur les « mondes possibles » : Leibniz-Kripke-Deleuze. Comme on sait, l’«optimisme » de Leibniz est à l’origine de la polémique sur le « Grand Séisme de Lisbonne de 1755 » au temps de la naissance des Lumières (Voltaire, Rousseau, Kant ). Le « meilleur des mondes possibles » n’exclut cependant pas la « catastrophe » après quoi les mondes ne sont plus « compossibles » - donc désormais « incompossibles » - du moins dans notre temps qui est, contrairement à chez Leibniz, sans instance divine.

** 1914-1996, un des principaux politologues et théoriciens politiques japonais du XX siècle. En français :
Essais sur l'histoire de la pensée politique au Japon (Presses universitaires de France), Les intellectuels dans le Japon moderne (in Cent ans de pensée au Japon 2, Philippe Picquier).

Ishida Hidetaka est professeur à l’Université de Tokyo, spécialiste des médias, il a écrit de nombreux ouvrages en japonais, dont les Média et la vie quotidienne (Kigô no chi / media no chi, Presses de l’Université de Tokyo, 2003), Le Tournant numérique du Savoir (Chi no Degital Shifuto, Kobundo Press, 2006) et Philosophie contemporaine (Gendai shisô no kyôkasho, Chikuma Shobô, 2010).



注目の投稿

做梦的权利:数码时代中梦的解析

The Right to Dream:   on the interpretation of dreams in the digital age Hidetaka Ishida ( Professor The University of Tokyo) ...