Le Devenir De L'intériorité … à L'ère Des Nouvelles Technologies
Jean-Christophe Valmalette & Eric Fiat (dir.)
avec les contributions de
Eric Fiat, Claudine Haroche, Hidetaka Ishida, Alain Papaux,
Philippe Pédrot, Jean-Christophe Valmalette, Masaru Yoneyama
(membres du Groupe international de recherches transdisciplinaires « Limites et frontières »)
Broché: 188 pages
Editeur : Editions Le Bord de l'eau (16 mars 2018)
Collection : Diagnostics
Langue : Français
ISBN-10: 2356875549
ISBN-13: 978-2356875549
Editeur : Editions Le Bord de l'eau (16 mars 2018)
Collection : Diagnostics
Langue : Français
ISBN-10: 2356875549
ISBN-13: 978-2356875549
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A la société de hyper-contrôle du capitalisme 24/7, la « colonisation du monde vécu » (Habermas ) par le techno-capitalisme qui s’était développé au siècle dernier comme « industrie de conscience » ou « industrie de mémoire » pénètre donc le domaine de l’inconscient que sont le sommeil et le rêve. Une autre problématique de la « bio-politique » au sens de Foucault émerge donc .
Si on se souvient qu’au début du siècle dernier, Freud formulait sa fameuse thèse « le rêve est un accomplissement du désir », quelle serait aujourd’hui la formulation que nous pourrions donner sur les relations entre la technologie du dream decoding et de différents savoirs d’interprétation du rêve qui ont échelonné l’histoire de l’humanité ?
Que pendant que l’humain rêve, la machine au sleep mode copie et double ses rêves ne sera plus une histoire du rêve.
Le « désir » qui se prépare au sommeil et se formule par un rêve aura été technologiquement décodé d’avance avant le réveil de l’homme. L’homme sera introduit dès son réveil dans un autre circuit techno-informationnel, ainsi se généralisera la situation d’un court-circuitage des rêves, enlevant aux individus de moments de souvenirs et d’interprétations de ses propres rêves. Le sens du rêve se met à échapper aux hommes au profit du circuit de machine.
"Le Droit de rêver : de l’interprétation du rêve à l’âge numérique"
Hidetaka Ishida (Professeur à l’Université de Tokyo)
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1- Les rêves dans la culture
JCV : L'Occident moderne se plait à distinguer le rêve de la rêverie et enfin de la réalité. Ces distinctions nettes n'ont pas toujours existé et n'existent d'ailleurs pas dans nombre de cultures qui perçoivent un continuum rêve-réalité indiscernable (ou indécidable). Qu'en est-il au Japon et peut-on dire que le rêve est l'espace propre de l'individu mais également l'espace commun d'une société ?
ISHIDA : Je ne sais pas si en Occident la distinction est aussi nette mais pour ce qui concerne la culture japonaise, la simplification en catégories pose toujours le problème de la nuance et de la précision. C'est difficile de parler de ces différences culturelles d'une manière complètement générale et complètement transhistorique. Prenons l'exemple du syllabaire hiragana inventé au 9e-10e siècle et présenté dès cette époque sous la forme d'un poème formé des 47 caractères dont le titre est Iroha . Ce poème, toujours utilisé au Japon pour l'apprentissage des caractères, provient d'un hymne du Sūtra du Nirvāna. Dans ce poème apparait la question du rêve (au deuxième vers avant la fin apparait le terme yume). Ainsi, déjà a cette époque se posait cette question de rêve et de réalité dans la croyance bouddhique. Il y a plusieurs sources culturelles qui définissent la distinction entre le rêve et le réel mais l'élément bouddhique est très important dans le substrat culturel japonais alors qu'en Occident c'est le christianisme. Le substrat de la culture japonaise contient l'empreinte très profonde d'une conception du monde et de l'au-delà dictée par cette croyance bouddhique
JCV : Voulez-vous dire que dans la croyance bouddhiste, le rêve est une expression de l'au-delà alors que le christianisme procédé d'un transfert de la représentation de l'au-delà sous une autre forme que le rêve, comme par exemple dans la notion de transcendance ?
ISHIDA : Dans l'univers du bouddhisme il y a comme condition à priori l'inconsistance et l'impermanence du monde. Le monde est un éternel devenir et il n'y a pas de séparation entre l'au-delà et ce monde, ce monde est une apparence, tout coule, tout est en flux perpétuel, ma vie est une apparence qui est une incarnation de temps antérieurs, tout être est un avatar au sens de "métamorphose". La condition première de l'accès à la culture écrite, par l'apprentissage de l'écriture rudimentaire du syllabaire, passe par l'univers de ce poème qui dicte cette impermanence du monde : l'apparence terrestre est précaire, elle va passer dans l'au-delà un jour, il n'y a pas de séparation nette entre l'apparence (l'être terrestre), le rêve et l'au-delà. L'avatar est perpétuel dans l'univers bouddhique, c'est là la conception du temps et de l'univers dans la culture japonaise.
JCV : Il y aurait donc un lien très fort entre les formes du rêve et de la spiritualité.
ISHIDA : Oui, le rêve est un aspect de cet avatar, éternelle métamorphose de l'univers. Ce point est complètement différent à mon avis de l'idée judéo-chrétienne en Occident. Il n'y a pas de séparation nette entre le terrestre et le ciel, il n'y a pas de conception de transcendance, la séparation est complètement différente.